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mercredi 26 janvier 2011

"Paths of Glory" de Stanley Kubrick (1957) avec Kirk Douglas, George Macready, Adolphe Menjou, Richard Anderson, Timothy Carey et Harold Benedict

J'adore ce film.
Au départ, des Américains jouant des soldats français, ça m'a gêné. Mais Monsieur Kubrick m'a vite fait oublier la réalité et entrer dans son film. 

Quand Kubrick fait un réquisitoire contre la connerie de la guerre, c'est fin, intelligent, tenu, dramatique sans sensationnalisme, idéaliste et sans illusion.

Tous les personnages sont intéressants, le moindre second rôle (ci-contre) est chargé d'une histoire qui l'ont rendu plus ou moins sage (plus du côté de la troupe), ou plus ou moins dégénéré (plus du côté des officiers) ; mais surtout, Kubrick nous fait tout de suite entrer dans l'intimité de chacun, et tous ont un certaine qualité, une tenue. Le casting est parfait.

Tout (l'approche, la mise en scène, jusqu'aux personnages), est humain (complexe), réaliste et intellectuellement plutôt brillant.
D'emblée, finesse de la scène où le Général George Broulard convainc le Général Paul Mireau de lancer l'attaque contre la Fourmilière : comment Mireau se convainc lui-même d'être intègre, d'être un vrai soldat (en témoigne sa balafre sur le visage), comment il se défend d'être l'arriviste égoïste et planqué qu'il est.
D'emblée (ci-contre), on apprend par la bouche du Général Mireau que le Colonel Dax (Kirk Douglas) était un brillant avocat dans le civil  (même si dans sa bouche, c'est probablement pour souligner que ce n'est pas un vrai militaire, de carrière, comme lui).
Puis vient cette scène de confrontation où Dax cite Samuel Johnson ("Patriotism is the last refuge of the scoundrel"), dont Mireau n'a jamais entendu parler. Moi non plus. J'apprends (merci Wikipedia), que Samuel Johnson a été présenté  "comme probablement le plus distingué des hommes de lettre de l'histoire de l'Angleterre". Poète, essayiste, biographe, lexicographe, traducteur, pamphlétaire, journaliste, éditeur, moraliste, cet Anglican pieux du 18è siècle était aussi un critique littéraire des plus réputés. "Ses commentaires sur Shakespeare, en particulier, sont considérés comme des classiques." 
Pourquoi Dax accepte-t-il cette mission suicidaire et insensée ? Parce que Mireau ne le force pas, lui dit juste qu'il le retirera de ses fonctions : pour mener cette opération, il a besoin de quelqu'un d'enthousiaste. Il met ainsi subtilement en cause le courage et le dévouement qui fondent l'engagement de Dax en tant que soldat. Dax est piégé par son assentiment initial.

Kubrick nous intéresse aux rapports d'autorité. Il nous montre comment la chaîne de commandement est une chaîne de mensonges enrobés de loyauté. Et cette chaîne aboutit au mensonge de résolution des crises via des boucs-émissaires (dans la vie interne de l'armée, on appelle ça "faire un exemple"). "You're making me the goat" dit à la fin le Général Paul Mireau (George Macready).


Utilisation des décors : les troufions sont plongés dans des tranchées de boue, l'état-major dans des palais gigantesques.


Séquence culte  : Dax avance sans rien dire dans les tranchées entre les soldats qui vont donner l'assaut alors que les bombardements sont d'une violence inouïe : Kubrick alterne les longs plans subjectifs (ci-contre) et les plans sur le Colonel (ci-dessous). On est écrasé avec lui par sa responsabilité.

Réplique culte : les trois soldats, la veille de leur exécution, dans leur prison. L'un d'eux voit un cafard. "Je sais que demain, ce cafard sera vivant quand je ne serai plus là" dit-il en substance.  "Il sera plus proche de ma femme, de mes enfants, etc…" Le soldat Maurice Ferol (Timothy Carey) donne un coup de patte sur la table…
"Now you got the edge on him", dit-il nonchalamment, les yeux dans le vague.

La scène de bataille entre deux des condamnés est aussi étonnante que celle de Barry Lyndon était ratée. C'est rapide, direct et violent.

Magnifique film sur l'idéalisme.

Chaque fois que Dax ose dire la vérité, je suis heureux, ça soulage. Son plaidoyer, lors du procès, est magnifique. En plus je sais, que dans un film de Kubrick, l'idéal va se heurter à la cruelle réalité. Il n'y aura pas de "happy end" artificiel… D'autant qu'il part d'un fait historique.
Le prêtre et le sergent, qui ont un contact avec les condamnés, ne sont pas traités ironiquement : je crois qu'ils disent des choses justes, en tous cas ils sonnent justes parce que Kubrick les défend. Même s'il montre ensuite aussi la défaillance du prêtre lorsqu'il accompagne jusqu'au lieu d'exécution le condamné Maurice Ferol, totalement effondré.
A la fin, Dax refuse d'entrer dans le manège mimétique que lui propose le Général George Broulard. Celui-ci lui dit son mépris : "You're an idealistic, and I pity you like the village idiot". J'adore cette réplique. Epicure était l'idiot du village, non ? Qu'est-ce que j'ai fait de mal ? demande Broulard. Dax répond, entre ses dents serrées : "I pity you because you don't know the answer to that question".
Et ça se termine sur cette scène culte où l'idiot (l'idiotie selon Périclès est une position apolitique de repli sur soi) Dax, regarde par la fenêtre d'un assommoir bourré de troufions qui sifflent, hurlent, éructent de la testostérone sur une jeune fille allemande en pleurs, convoquée par un tenancier libidineux pour leur faire un petit brin de chant. Comment peu à peu, son chant entraîne tous les soldats à fredonner le refrain d'une ritournelle allemande qu'ils ne connaissaient pas…

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