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mardi 1 février 2011

"Lord of War" de Andrew Niccol (2005) avec Nicolas Cage, Jared Leto, Eamonn Walker,Ian Holm

"They say : "Evil prevails when good men fail to act." What they ought to say is : "Evil prevails".
Yuri Orlov (Nicolas Cage, excellent, comme d'habitude) est entré dans le trafic d'armes comme son père est entré en religion (juive) : pour combler un vide existentiel, avec un sens aigu du mensonge.
Ceci dit, il s'analyse très bien, et ses commentaires lucides, éclairés, sont souvent drôles. Au début de l'histoire, il explique qu'il ne sait pas ce qu'il veut, mais qu'il faut que ce soit "Big". C'est bien parti pour un cheminement pervers. Yuri est le sujet parfait du désir mimétique. C'est un conquérant de la vanité, quelqu'un qui met ses talents réels au service du mal, sans être spécialement méchant (voire plutôt sympathique, puisqu'il est joué par Nicolas Cage). "You call me evil, but unfortunately for you, I'm a necessary evil." Un bon personnage de film.
"Je sais de quel côté il vaut mieux être", dit ce cynique tranquille à son petit frère Vitaly au début. Vitaly est cuistot à Little Odessa, où leur famille a immigré. Il sait qu'il vit dans la merde (= une vie un peu médiocre, sans perspective), mais c'est mieux que de faire du trafic d'armes, comme le lui propose Yuri. En fait, Vitaly ne résistera pas longtemps. Il va suivre Yuri, mais sera plus dans le plaisir immédiat que lui : il rêve de patates, devient cocaïnomane etc…
En amour, Yuri a jeté son dévolu sur une Miss quelconque devenue mannequin, Ava Fontaine (Bridget Moynahan), dont il suit fidèlement la carrière sur les affiches publicitaires qu'il croise. Yuri est un personnage intéressant, romanesque, dans la mesure où il va jusqu'au bout de son désir : en l'occurrence, pour séduire l'objet de son fantasme, il va vraiment lui faire le grand jeu. Ava voit dans leur rencontre (totalement montée par Yuri) un signe du destin. "I don't believe in faith" lui dit-il dans un accès de sincérité, avant de l'embrasser pour la première fois, sur "La vie en rose", alors qu'ils sont dans son (faux) jet privé. Il finit par l'épouser, toujours dans sa logique de "réussite sociale". "The problem with dating dream girl is that they have a tendency to become real". 
En bonne poule de luxe décervelée, Ava Fontaine fait l'autruche durant tout son mariage sur la teneur réelle du travail de son mari : l'histoire de son point de vue ne mériterait-elle pas un film ? J'ai eu cette impression quand elle découvre le container de son mari… C'était trop ou trop peu… Ceci dit, je ne vois ni comment ni pourquoi Niccol l'aurait passée à l'as : ça donne une épaisseur humaine à l'histoire.
Le film combine différents registres :
- dérision dynamitée à la frère Coen, avec une réalisation enlevée et des effets spéciaux cartoonesques, une voix-off pleine d'humour, le côté "petit foldingue détraqué qui n'a peur de rien" de Yuri ;
- réaliste, témoignage véridique, anecdotes incroyables sur le quotidien de ce marchand d'armes,   passages didactiques parfois un peu plus faibles.
Scène au Sierra Leone (ci-contre) où il combine brillamment les deux dans une sorte d'éjaculation cynique : Yuri se dépêtre in extremis d'une situation litigieuse en offrant à la population civile qui passait par là l'arsenal contenu dans l'avion qui a atterri en catastrophe pour échapper à un contrôle. En une nuit, l'avion est dépecé. Au petit matin quand Interpol arrive, il ne reste qu'une carcasse.
"Is this how you want to be remembered ?" lui demande son père qui le remet en question après son mariage. "I don't want to be remembered at all", lui répond Yuri : "If I'm being remembered, it means I'm dead".
Les derniers propos de la voix-off sont magnifiquement pertinents : "You know who's going to inherit the Earth ? Arms dealers. Because everyone else is too busy killing each other. That's the secret to survival. Never go to war. Especially with yourself". C'est "La route antique des hommes pervers", pour reprendre le titre d'un livre de René Girard, mon mentor. Les pervers s'en sortent toujours. Autour d'eux, c'est l'hécatombe. Cette route est le chemin opposée à celui proposé par le Christ (où le seul combat est celui contre soi-même) ; ce chemin requiert un état d'esprit humble, opposé à celui de Yuri : celui du jardinier qui prend soin de cette terre qui lui a été confiée, et qui y crée un environnement "paradisiaque", à l'opposé de Monrovia, ville infernale aux bâtiments criblés par les balles des milices ultra-violentes d'André Baptiste (ci-dessus), aka John Taylor, le Président du Libéria.

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