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mercredi 12 septembre 2012

"Harry, un ami qui vous veut du bien", de Dominik Moll avec Sergi Lopez, Laurent Lucas, Mathilde Seigner

Tous les comédiens sont bons, en particulier Sergi Lopez, que j'aime beaucoup. 
Leur jeu "naturel" sonne juste, ce qui est mérite d'être noté, tant cette forme de jeu prévaut habituellement dans une certaine production française, où des réalisateurs incapables de diriger laissent leurs comédiens livrés à une  pathétique nonchalance.
Dans "Harry, un ami qui vous veut du bien", ce jeu naturel correspond à un 
choix formel délibéré. D'une part, la réalisation de Dominik Moll est généralement tenue [1]  (scénario, musique), et il n'y a pas de raison que le cinéaste ait adopté une approche différente sur ce point. 
D'autre part, ce choix formel est parfaitement adapté à l'histoire qui est racontée : l'intrusion d'un inconnu pervers dans le quotidien banal d'un couple "normal"…

Ce thème de l'intrusion est très intéressant, très riche en possibilités. Ici, le spectateur s'identifie facilement au jeune couple Claire et Michel (Mathilde Seigner et Laurent Lucas), et vit 
constamment avec effroi l'intrusion progressive dans leur vie ordinaire de cet élément extérieur, extraordinaire et nocif, qu'est Harry (Sergi Lopez).

Ce personnage dérangé m'a fait étrangement fait penser à quelqu'un que j'ai connu (avec la folie meurtrière en moins !) : le côté flagorneur, le rapport antagoniste au père, la sexualité affichée, la position de supériorité (qui va jusqu'à vouloir prendre le destin de l'autre en main), la générosité déplacée et intrusive… Dans le film, ces "cadeaux" font partie de l'entreprise de manipulation, qui progresse d'acceptation en acceptation. 
Harry propose (avec décontraction) ; et de consentement en consentement, il s'impose insidieusement. 

Il utilise ainsi une technique bien connue des commerciaux : le "pied dans la porte", ou comment extorquer au sujet (avec l’aide éventuel d’un petit contact physique) un acte préparatoire non problématique et peu coûteux.
Puis, de manière implicite et après un évènement apparemment fortuit, demander l’acte plus coûteux.

Quand l'agent a accompli le premier acte, et dès qu'il a pris la décision d'accepter le deuxième (plus coûteux), avant même qu'il l'ait accompli, formuler de manière explicite une troisième demande encore plus coûteuse, mais similaire à la seconde. 
Cette proposition constitue une justification clef-en-main (en acte) de la décision initiale de l’agent, avant qu’il n'ait eu le temps et le besoin de rationaliser. 

C'est exactement ce que fait Harry, qui, après avoir offert un 4x4 neuf à Michel, lui propose de le "parrainer" financièrement.

"In any form of persuasion, from the mildest to the most severe, it is always the case that those who refuse to 

cooperate are in no danger while those who give the slightest indication for doing so are doomed"[2]

Et "la meilleure façon d'éviter de tomber dans un piège abscons consiste à décider dès le départ de se donner un seuil à ne pas dépasser"[3]

Ce qui me plaît (et qui, là aussi, distingue le film des productions françaises 
médiocres), c'est que Moll ne fait pas de psychologie explicite : aucune motivation n'est donnée au comportement d'Harry.

Le casting de Laurent Lucas est parfait. Par exemple, il a cette étonnante passivité, une absence de réaction immédiate, quand, soudain, la nuit fatale, il découvre Harry en train de lâcher le corps de sa copine dans le puits. Sa passivité naturelle est ici étonnante mais 
compréhensible, tant le découpage de Moll contribue à nous… scier :  avec Michel, nous découvrons la scène  à la seconde même où Harry lâche le cadavre de Prune dans le puits…

Les dernières scènes du film, où l'on voit l'écrivain, auparavant frustré, pondre un roman avec fièvre, ouvre un champ de réflexion sur la créativité. "Harry…" s'inscrit à cet égard dans la lignée des films sur l'inspiration de l'écrivain, comme "Zorba le Grec" (réaliste) ou "The Ghost and Mrs Muir" (fantasmatique), ou encore "The Shining" (cauchemardesque) (cf posts respectifs). 


[1] Comme celle de Gilles Marchand, co-scénariste de ce film, et réalisateur de "Qui a tué Bambi" (cf post du 26 novembre 2010)
[2]  J.A.C. Brown, "Techniques of persuasion", 1963
[3] R.V. Joule, J.L. Beauvois, " Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens"

2 commentaires:

  1. si on regarde le film jusqu'à la fin, on sait que ce n'est pas Claire qui est jetée dans le puits, mais Prune, la copine d'Harry. Claire et les enfants survivent, sauvés in extremis par Michel.

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