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samedi 21 novembre 2020

« Apocalypto » de Mel Gibson (2006) avec Rudy Youngblood, Raoul Trujillo, Gerardo Taracena

Un film d’aventure comme il en existe très peu. Mel Gibson, qui a depuis réalisé un autre chef d’œuvre dans le genre du film de guerre - Hacksaw Ridge (2016) - est décidément pour moi un des plus grands réalisateurs américains vivants.
Evidemment, une certaine critique française a visionné Apocalypto à sa sortie avec un masque FFP2, des gants, des pincettes, et les lunettes à foyer idéologique : pensez-vous, Mel Gibson, cet intégriste catholique qui avait commis The Passion of the Christ deux ans avant !…

Bref…

Déjà, le fait que la langue soit le maya yucatèque est pour moi réjouissant : ça contribue à me propulser dans l'exotisme d'une civilisation disparue, avec des sonorités et des intonations inouïes pour moi. 
J’ai été étonné d’apprendre après coup que cette langue est encore parlée de nos jours par plus de 750 000 personnes au Mexique !

Plus généralement, j'ai aimé que leur manière de communiquer n'ait rien à voir avec la nôtre : ils sont par exemple laconiques dans des circonstances où nous aurions insisté pour avoir des explications, des éclaircissements…


La première séquence - la chasse du tapir - révèle en concentré tout le talent de Gibson.


Elle est comme une mise en abyme de la mise en scène : les chasseurs tendent un piège à l’animal, en le forçant à passer par certains endroits  ; ou comment maîtriser ce qui semble impossible à maîtriser, le parcours d'un animal sauvage en fuite dans une jungle luxuriante. J'ai vu quelques images du tournage du film au Mexique, et dans de telles conditions, arriver à proposer des images à la fois si spectaculaires et si maîtrisées, c’est un véritable tour de force !…

Dans cette séquence, comme dans le reste, Gibson nous offre du cinéma : tout est mouvement, constamment, sans agitation gratuite stupide. Car il 

sait prendre son temps à certains moments : on a le temps de s’intéresser aux personnages (on les 
voit au début jouer avec leurs enfants, écouter le vieux conteur au coin du feu, danser…) et le rythme du film est excellent.

Ensuite, toujours dans cette séquence d’introduction, les chasseurs font manger les couilles du tapir à l'un d'entre eux, Émoussé, pour se moquer de son infertilité. Là aussi, cette scène est révélatrice de deux aspects du film que j’aime : le côté... couillu et enfantin. Tous ces gars sont impressionnants… déjà, rien que de courir pieds nus et à moitié à poil dans la jungle ! Mais ce côté viril ne concerne pas que les hommes : il y a le gamin stoïque lorsque sa mère insère des fourmis vivantes (ou leurs têtes uniquement ?) dans sa blessure ; ou elle, qui accouche debout alors que l’eau monte dans le puits où ils sont coincés…

Et, pour un film américain, c’est couillu sans testostérone ridicule (on est loin de Rambo) ni violence sadique (type Games of Thrones).

Quant au côté enfantin, au-delà des taquineries bon enfant de ces villageois lors des premières séquences, c’est le fait que Mel Gibson n’a pas renoncé à proposer de vrais héros positifs. Purs.


Gibson sait créer une tension.

Par exemple, dans la scène où les chasseurs mangent en rigolant : Patte de Jaguar est le seul à avoir perçu quelque chose dans la jungle derrière lui… Finalement, ce seront des fuyards inoffensifs… Mais au début, avant et pendant le premier contact, il y a une forte tension.

Même chose quand les chasseurs reviennent au village : Ciel de Silex prend son fils Patte de Jaguar à part. Tout dans la scène (les regards, les gestes etc…) donne l’impression que Ciel de Silex est menaçant… Mais en fait, non : c’est juste leur manière d’être, de parler…

La scène de l’attaque du village est l’une des plus impressionnantes scènes dans le genre… Elle est surtout très efficace car justement Gibson sait faire monter la tension. C’est l’aube, tout le monde dort dans le village ; un chien aboie et réveille Patte de Jaguar. La première fois que l'on voit les assaillants, ils sont vraiment effrayants avec leurs gueules, nez, dents noires, leur gestuelle lente, leurs tatouages, scarifications, piercings, leurs coiffures, parures… 


Scène forte probablement aussi parce qu’il n’y a pas d’armes à feu : les combats corps à corps, c’est plus impressionnant. Il y a un côté Games of Thrones, en plus réel, et finalement moins violent (je dis cela parce que la critique bien pensante a souvent insisté sur la violence du film de Gibson… alors que je l’ai rarement entendue faire de remarques à ce niveau concernant la série, au demeurant géniale, produite par HBO…).

Ensuite, la séquence où les villageois captifs sont emmenés, enchaînés par le cou, pour une destination inconnue, offre déjà tout ce qu’on demande à un film d’aventures : la progression difficile dans la jungle, les torrents, la montagne ;

un psychopathe ; du suspens… ainsi qu'une scène nocturne étonnante et très Gibsonienne où les  captifs se mettent à réciter, comme une prière, des éléments de leurs récits mythiques : « La déesse de l’échafaud punit les faibles, son âme attend la tienne… »

Scènes marquantes 

- avec la petite voyante « lépreuse » au regard étrange, seule survivante dans le village dévasté (par une épidémie ?) qu'ils traversent.

- la chute d'un arbre immense, qui manque d'écraser les prisonniers

- vision singulière des esclaves qui travaillent dans des mines de roche blanche…


La profusion de ce qu’il y a à regarder lorsqu'ils arrivent dans la ville (« un lieu en pierre » comme le dit un des captifs) :  dans la foule et l’activité grouillante, on aperçoit un ou deux mecs debout, étrangement immobiles, les bras tendus en avant ; les têtes grotesques ou pitoyables, les coiffures incroyables, les danses, les costumes (dont l'authenticité est le fruit 
d'un travail de documentation acharné), la couleur bleue de la peinture dont on revêt les futurs sacrifiés…

Et tout en haut de la pyramide, dans le lieu du sacrifice, la tête du roi, au regard vide effrayant… 

La course-poursuite de la fin dans la forêt est fabuleuse. Patte de Jaguar va tout utiliser pour « neutraliser » ses poursuivants : serpent, panthère, chute d’eau, sables mouvants, nid de frelons, crapaud…


Gibson sait diriger ses acteurs. 

Dans le making-off, on le voit régler les moindres détails de la mise en scène des combats. Quel travail !

La plupart des acteurs n’étaient pas des comédiens… 


Et ils sont tous, même les seconds rôles, incroyablement justes. Seule la mère d’Émoussé en fait trop. C’est le seul petit défaut que je vois dans ce film. 

Il y a une expression égyptienne pour qualifier le genre de plaisir qu’offre Apocalypto : « éch o gebna » (pain et fromage) ; autrement dit, on en a pour son argent.


Un film de facture classique. Un futur classique.

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