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lundi 28 février 2011

"Gloria" de John Cassavetes (1980) avec Gena Rowlands et John Adames

"You're tough" dit le petit Phil à Gloria (Gena Rowlands), qui vient d'envoyer balader ("Take a walk !") la serveuse du snack où ils sont attablés.

Puis il se reprend : "You're strong".

C'est peut-être un résumé du cheminement de Gloria dans le film.

Au début, les deux personnages nous sont présentés comme "tough".

Gloria est une "tough woman"  : talons aiguilles, tailleur en soie, assez dure (pas insensible mais peu compatissante).
Phil Dawn est un "tough kid" : physique de petit mec, il ne pleure pas alors qu'il vient d'échapper au massacre par des mafieux de toute sa  famille ; il écoute ses instincts : dormir, manger…

Cette proximité de tempéraments rapproche les deux personnages, et surtout elle rend leurs manifestations émotionnelles d'autant plus touchantes (c'est la force du regard toujours pudique de Cassavetes) : "I am the man. I can. I am the man", dit le petit Portoricain… avant de se mettre à saigner du nez…

Mais le couple est avant tout lié par le drame brutal et soudain.
C'est la musique qui est chargée d'accentuer la tonalité dramatique. Œuvre de Bill Conti (véritable machine hollywoodienne à composer), elle est très présente, autant dans les scènes de fuite et de suspens que dans les scènes plus tendres d'intimité.

Le scénario est construit selon le schéma classique du "voyage du héros".
Au début, la scène où l'on apprend que Gloria est liée aux mafieux correspond à l'étape habituelle du "Refusal of the call", où le héros hésite à sortir de son "Ordinary world" (pour reprendre les termes de Christopher Vogler dans "The writer's journey").
Dans la scène d'après, Gloria et Phil sont dans les rue de Manhattan. Cassavetes souligne le caractère ordinaire de cette femme qui n'a rien d'une "killeuse" : elle dit qu'elle a pris du poids, qu'elle est fatiguée…
Soudain, les mafieux surgissent et Gloria n'hésite pas une seconde à sortir son flingue : l'étape "Meeting with the Mentor" est zappée, et Cassavetes nous a propulsé au franchissement du premier seuil ("Crossing the first threshold").

"You did it for me", lui dit ensuite le petit Phil. On sent ici un peu trop l'intention scénaristique de faire avancer parallèlement l'histoire sur le plan intime (le seul  qui intéresse au fond Cassavetes, c'est ce qui fait le charme de ses films) : à travers cette péripétie, un lien s'est créé entre eux.
Gloria, belle quarantenaire, célibataire et sans enfant, au nom de star (Gloria Swanson, clin d'œil à la star du muet Gloria Swenson) et aux fréquentations louches, a franchi le premier seuil de son parcours héroïque vers… l'adoption d'un orphelin en sursis.

Puis ils prennent un bus et Gloria parle à un passager qui lui dit qu'elle est folle d'avoir fait ça. L'héroïne  explique alors la motivation de son geste : la mère du petit était une copine. En sortant, du bus, elle dit à Phil que cet homme était son oncle.

Autre rupture du rythme propre au cinéma de Cassavetes : quand Gloria attaque les mafieux dans le resto de la gare. Scène surprenante et un brin invraisemblable.

La scène suivante m'a semblé très juste, quand Gloria court se réfugier chez elle, ouvre la porte en pointant son flingue et en criant "Kill me !", pour conjurer sa peur. Avec Cassavetes, on n'est pas dans la mythification à la "Kill Bill", mais dans l'humain ordinaire porté à des états paroxystiques.

En revanche, la projection dans le petit Phil de l'amour de Cassavetes pour Gena Rowlands/Gloria est pour moi irritante, artificielle.

J'aime bien l'appartement de Tony (Tony Knesich), le parrain : vide, sans intimité et sans âme.

Gloria est un personnage typiquement cassavétien.  Madame Cassavetes n'y est probablement pas pour rien !
Une femme belle et intelligente,
classe et déjantée,
publique et privée,
solitaire et familière,
à la marge et loyale,
cynique et au grand cœur.
Dans ce film, c'est une femme qui a vécu. Comme les taxis cabossés qu'elle prend. 
Ou comme les murs décrépis des hôtels de passe où elle se réfugie avec le petit Phil. 
On ne connaît pas grand chose de son passé, à part qu'elle a été la maîtresse d'un parrain de la mafia new-yorkaise. C'est assez pour tracer le fil rouge de son parcours, de l'ombre à la lumière…
… La lumière de la fin au cimetière… Gloria. La gloire.
La gloire de Dieu, le rayonnement visible de l'Amour, c'est de se montrer avec le faible, être du côté du méprisé.

A chaque vision du film (qui n'est pas un de mes Cassavetes préférés), je marche à fond dans ces retrouvailles espérées.

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