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jeudi 24 mars 2011

"A travers le miroir" d'Ingmar Bergman (1961) avec Max von Sydow, Harriet Andersson, Gunnar Björnstrand et Lars Passgård

J'ai beaucoup aimé.
Très touché par cette histoire, surtout les rapports père-fils.

Bergman qualifiera son film de "gewollt" -"voulu", "artificiel"- expression allemande qui, selon lui, caractérise "l'art qui n'est pas pur" (…), où "l'exigence formelle et le facteur construction de l'œuvre sont toujours présents, mas cette "volonté" est quelque chose d'autre. C'est un élément stérilisant et anti-artistique."
L'intransigeant Bergman jugeait probablement en particulier ce qu'il appelle "l'effondrement du contenu-idées" du film. En gros, au fil du tournage, sa conception de Dieu et de la sainteté, telle que transmise dans son scénario, avait évolué. "Et c'est aussi pourquoi je l'ai réalisé avec un entêtement et un effort de volonté incroyables, ce qui a marqué le film". Bergman s'est retrouvé en décalage avec ce qu'il exprimait à la fin du film : "il n'existait pas en moi, au niveau de la sensibilité, d'enchaînement entre le message plutôt optimiste de la fin, et la vision pessimiste du reste du film".

"- Mais c'est un effet beethovenien", plaide le critique Torsten Manns lors de l'entrevue d'où sont tirés ces propos. "Tu développes un thème dont tu ne viens pas à bout". C'est ce que fait souvent Beethoven !"

Le film a été tourné deux ans après "La Source" (cf post précédent). 
Bergman vient se marier pour la quatrième fois. Avec une pianiste estonienne, Käbi Laretei, à qui le film est dédié.
C'est le réalisateur lui-même qui qualifie son film de "pièce de théâtre masquée" ; mais aussi et surtout de "film de chambre" (comme "Gertrud" de Dreyer, cf le post). "On répartit un certain nombre de thèmes entre un nombre extrêmement restreint de voix et de personnages. On extrait le passé des personnages, on les place dans une sorte de brouillard, et l'on fait un distillat".

Une histoire de quatre personnes, en temps presque "réel", qui jouent chacun un air que les autres n'entendent pas ou ne comprennent pas.
"L'oubli me possèdera. La mort seule m'aimera." déclame Minus (Lars Passgård) dans la pièce qu'il joue, en chambre, avec sa sœur (Harriet Andersson, ci-dessus), devant leur père David (Gunnar Björnstrand).

Comme Martel, Paradjanov, Sokourov (cf les posts précédents) -et probablement Tarkovski- , Bergman travaille sur les ondes, sonores en particulier. 

Cf l'espèce d'acouphène sur toute la séquence du début (ci-contre) : David et son gendre Martin (Max von Sydow) après un bain ostensiblement joyeux dans l'océan, font une promenade en barque en discutant de Karin. 

Karin est la fille de David et la femme du médecin Martin. On apprend que Karin est schizophrène. 
Pendant ce temps, Karin et son petit frère Minus vont chercher le lait ensemble, Karin dit entendre un coucou. Elle avoue entendre "trop de choses" depuis qu'elle a subi des électrochocs à l'hôpital psychiatrique d'où elle sort à peine.
On revient sur les deux hommes sur la barque. Alors que le soleil se couche lentement, on perçoit de loin en loin une corne de brume… et la vibration devient progressivement moteur de bateau.

Les vingt premières minutes sont une nuit qui n'en finit pas de tomber. 
"La mince frontière entre le jour et la nuit ne permet aucun repos", note Peter Cowie. "Seul Martin, le plus imperméable des quatre, parvient un tant soit peu à dormir. Le calme de la mer toute proche et l'aspect désert de la plage rocailleuse entraînent une telle réceptivité au son et à l'image que la moindre déviance ou faiblesse de l'homme peut être perçue, comme une vibration, même infime, s'enregistre sur un sismographe".
Et dans cette nuit blanche, lorsque l'insomniaque Karin se lève et se rend à l'étage, la corne de brume rythme son arrivée dans une pièce mystérieuse, son sanctuaire : une chambre vide et lépreuse, dont les murs crevassé, aux papiers peints décollés, ruissellent de chuchotements ésotériques.
"Karin est déchirée entre deux mondes, comme une radio qui capte un brouillard sonore entre deux fréquences" (Peter Cowie).
Dans cette maison familiale perdue sur une île au large des côtes suédoises, chaque personnage vit dans sa bulle.
Les "malades", comme Karin qui manifeste une dissociation mentale et une discordance affective (cf ses rapports ambigus avec son frère Minus) ont quelque chose à dire.  

Mais personnellement, c'est le jeune Minus que j'ai trouvé particulièrement touchant.
Peter Cowie commente ainsi le dernier plan : "Seul dans la chambre, qui évoque la sacristie d'une église avec ses petits fenêtres grillagées, Minus regarde droit dans la caméra  : "Papa m'a parlé !". 
La communication naît de l'amour".

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