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samedi 23 avril 2011

"An angel at my table" de Jane Campion (1990) avec Kerry Fox, Alexia Keogh, Karen Fergusson

"I'm going to be a poet".
Très beau film sur la vie d'une artiste. Jane Campion est manifestement attirée par les poètes (cf "Bright Star", remarquable film sur l'amour du poète anglais John Keats, qu'elle a réalisé 19 ans après "An angel"). Faire un film sur les amoureux du verbe n'est pas facile, mais Campion est une vraie cinéaste, et elle utilise superbement les moyens de son art.
Ici, c'est une adaptation de l'auto-biographie de l'écrivain néo-zélandaise Janet Frame.
Toute la première partie (intitulée "To the Is-land") est une plongée dans le temps de l'enfance. Elle représente pour moi une


des tentatives cinématographiques de ce genre les plus réussies, du fait :
- du milieu d'où Janet est issu, qui n'est pas encore perverti par le cynisme post-moderne.
- de la personnalité de Janet elle-même : singulière, intéressante, timide, pure, attachante ; qualités qui ressortent par contraste avec la personnalité de sa sœur aînée Myrtle (Melina Bernecker, ci-contre). Myrtle est elle-aussi attirée par la poésie, mais en coquette, elle affectionne surtout les coquetteries poétiques. Toutes les qualificatifs utilisés pour Janet seraient presque à inverser pour Myrtle, si cela ne trahissait pas la subtilité du film. 
J'ai aimé les ellipses dans la narration : j'étais parfois un peu perdu, je n'ai pas toujours tout suivi, mais cela fait partie du plaisir du bon cinéma.

Le récit se focalise intelligemment sur les moments "traumatiques" (petits et grands évènements, comportements des uns et des autres) de l'enfance de Janet, ceux qui marquent le développement par leur intensité, vécue avec la sensibilité propre à cette période de la vie.
Même chose pour les épisodes de sa jeunesse, comme en témoigne l'extraordinaire scène où la réalisatrice fait jouer sa propre mère (actrice de théâtre renommée en Nouvelle Zélande) : dans le couloir sombre du collège de Waitaki, à contre-jour, une silhouette de femme s'avance, blouse flottante, les bras chargés de livres. Les bruits de pas donnent une impression de puissance. Dans la salle de classe, les élèves bavardent. La prof leur fait signe de s'asseoir, pose les livres sur le bureau, et joue séance tenante une scène du "Morte d'Arthur" d'Alfred Tennyson (célèbre poète de l'époque victorienne) : complètement dans son rôle, elle vit la scène en même temps qu'elle clame le texte, captivant l'attention des élèves et engendrant l'imaginaire de la jeune Janet.
Quand Janet, dans la troisième partie ("The envoy from Mirror City") parle (en voix-off) de ses envies suicidaires, elle dit quelque chose comme : 
"I know I had to take them seriously. They are shortcuts to action."
Pour Janet, écrire est la seule voie de survie.
La poésie lui permet de survivre à tous ses deuils familiaux (sa sœur jumelle, ses deux sœurs noyées), à son désert sentimental ("Too shy to mix (…) My only romances were in poetry and literature"), à son incapacité d'enseigner du fait de sa timidité maladive (handicap vécu néanmoins très vite comme une libération dans cette séquence qui finit joliment sur un léger saignement du nez), à huit ans
d'internement psychiatrique non justifié, agrémentés de 200 électrochocs et d'une menace imminente de lobotomie… 
Pas vraiment incarnée, peu à l'aise dans son corps, la tête surmontée d'une chevelure rousse et frisée qui lui fait comme une auréole, Janet est une âme profonde et sensible, de plus en seule dans un monde fruste ou/et superficiel.
Ce qui est touchant c'est qu'elle est toujours vulnérable, jamais agressive, plus sérieuse, douce et humble que les autres. Alors qu'elle est toute introversion, elle est perçue comme un monstre.
Elle n'a jamais la faveur des profs, même gamine, lorsqu'elle compose cet étonnant poème que son prof d'anglais,


le seul pourtant enthousiaste et gentil, lit devant toute la classe (ci-contre) : il ne lui donne au final aucun retour explicite. 
Mais peut-être que cela a contribué à forger en elle cette qualité nécessaire pour être un vrai artiste : l'absence de complaisance (cf l'ordalie de ses premiers écrits que Janet met en scène avant de prendre son envol en quittant son milieu d'origine).
"There will be no second chance for my survival", écrit-elle quand elle obtient une bourse pour partir à l'étranger.

Une seule chose m'a un peu gêné : à part son père et l'écrivain qui l'héberge), tous les hommes sont un peu minables (falots ou cinglés, comme l'Anglais qui la chaperonne). 
Ceci dit, Jane Campion souligne les différences entre les personnages, mais il n'y a jamais de mépris dans le regard portés par les uns sur les autres.
Merveilleux plan d'ensemble de cette bicoque nichée dans l'immensité d'un forêt tropicale humide, avec les linges que la mère de Janet fait sécher. Les sœurs se baignent dans une rivière.

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