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samedi 14 mai 2011

"The Graduate" de Mike Nichols (1967) avec Anne Bancroft, Dustin Hoffman, Katharine Ross

Après une longue interruption, je me remets à écrire sur ce blog. En mai, un bug de Blogger a fait disparaître l'article que j'avais écrit sur le film. J'ai finalement décidé de le réécrire, mais je suis incapable de retrouver l'inspiration de ma première version.
Cela m'a d'autant plus affecté que quelque chose de très particulier et de relativement indicible me lie à ce film (sorti l'année de ma naissance !). C'est pour moi un film-phare, un film-soleil… en résonance évidente avec ma sensibilité. Beau, intense, unique, comme un premier amour, comme celui qu'il relate.

De toutes façons, il y a quelque chose dans les premiers films de Mike Nichols qui me touche particulièrement… Le générique de "Who's afraid of Virginia Wolf" sur la musique d'Alex North me met la chair de poule à chaque fois… "Carnal knowledge" est un de mes films préférés…
Dès le début, je suis entraîné : plan séquence sur le jeune Benjamin Braddock (Dustin Hoffman), droite-cadre sur un tapis roulant d'aéroport, alors que le générique s'inscrit à gauche. Nichols me fait immédiatement entrer dans l'intimité solitaire du personnage, sa passivité, qui contraste de temps à autre avec les silhouettes des voyageurs qui passent rapidement au premier plan… 

Les chansons de Simon et Garfunkel contribuent pour beaucoup au charme unique qu'opère le film sur moi.

Mais aussi la photographie de Robert Surtees… Elle engendre une vraie émotion esthétique parce qu'elle ne se contente pas de composer en utilisant les avant et arrière-plans dans des cadres au cordeau, elle fait comme vibrer l'image, en faisant vivre les choses à l'intérieur.
Après le générique, le plan sur Benjamin, adolescent dans sa chambre, avec l'aquarium derrière sa tête. Son père (William Daniels) l'invite à rejoindre les invités venus fêter sa "graduation". Benjamin n'a pas envie d'y aller : "I'm just…
- Worried ?
- Well…
- About what ?
- I guess about my future.
- What about it ?
-  I don't know… I want it to be…
- To be what ?
- Different."
Et la scène où Mr Robinson (Murray Hamilton) conseille à Benjamin de se lâcher un peu avec les filles :  ils sont dans le salon des Robinson, Benjamin est affreusement mal à l'aise, Mrs Robinson venant juste de s'offrir sèchement à lui, elle les rejoint en cours de scène, habillée… La position de la tête de Benjamin dans la composition exprime son isolement et son angoisse ; et même s'il n'occupe qu'une petite partie de ce plan assez large, on est visuellement attiré par lui.

La première fois que j'ai vu le film, certains scènes m'ont fait rire aux éclats. Des dialogues cultes, rehaussés par l'inadaptation d'un Benjamin coincé et maladroit, comme sonné.
Par exemple, lorsque Benjamin a rejoint la fête et qu'il est entraîné de côté par un ami de ses parents, Mr Mc Guire (Walter Brooke, ci-contre)  : "I want to say one word to you, just one word.
-  Yes, sir, répond Benjamin, qui l'écoute avec une attention forcée et polie.
- Are you listening ?
- Yes, I am.
- Plastics."
Ou dans l'hôtel, lorsque Benjamin appelle Mrs Robinson de la cabine pour lui demander de le rejoindre discrètement dans la single room qu'il vient de réserver. Comme il va raccrocher, en sueur :
"- Benjamin ?
- Yes.
- Your forgot something.
- Mmm … Oh ! I want to tell you how I am grateful for what you have done for me…
- The number."

Des femmes qui incarnent parfaitement des archétypes fantasmatiques. Les rapports de force sado-maso avec la cougar Mrs Robinson : Anne Bancroft marche à 100% sur moi.
Et dans son rôle (Elaine Robinson), Katherine Ross aussi. Elle a quelque chose qui semble naturel, une pureté du regard et une authenticité qui appellent au rapprochement intime, à la complicité… cette complicité nouvelle qui caractérise l'émoi du premier amour naissant.
En plus, ce sentiment grisant de la découverte du continent amoureux résonne ici avec l'atmosphère de liberté de cette époque : dans le "tout est possible" du film, il y a le côté le plus enchanteur de cette période, où l'idéalisme n'était pas un motif de dérision.
Séquence-culte sur "Sound of silence" de Simon et Garfunkel : Benjamin, lunettes de soleil, sur un matelas dans la piscine de ses parents. Et ce qui est génial et singulier, c'est que Nichols ne se contente pas d'arrêter après la fin de la chanson. Il poursuit le "clip" sur une autre chanson, si légère et touchante ("April come she will"). Qui oserait faire ça aujourd'hui ?
Et ensuite la contre-plongée sur ses parents, au bord de la piscine, totalement à contre-jour, avec le soleil éclatant derrière !
Autre liberté dans le traitement du temps et de la narration : la scène où Benjamin suit Elaine dans l'université pour la pousser à l'épouser. On est dans le temps de Benjamin. Il est complètement tendu dans sa volonté, obsessionnel au point où rien n'existe à part son objectif. Il pose une question à Elaine alors que la porte de la classe se referme derrière elle au son de la sonnerie ; on reste avec lui dans le silence du couloir vide quelques secondes ; la sonnerie de la fin du cours retentit, Elaine sort, et Benjamin la suit en répétant la question comme si le temps du film était le sien.

Benjamin n'est-il pas d'ailleurs tombé amoureux de son projet ? Lui qui était perdu, sans désir, a trouvé un objet de désir. Dans le dernier plan du film, après qu'il ait enlevé Elaine à son mariage, lorsqu'ils sont tous deux dans le bus dans lequel ils ont sauté dans leur fuite, Elaine regarde Benjamin qui regarde au loin, en lui-même…

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