Film majeur dans la filmographie de Woody Allen. Avec sa fantaisie décontractée, le réalisateur réalise ici un bijou de cinéma jubilatoire, une œuvre éclatante de confiance dans son art.
L'histrion exhibitionniste se met en scène, et nous ballade constamment entre la fiction et le commentaire, l'adresse directe (premier plan) ou l'apostrophe au spectateur (dans la queue au cinéma), des incursions fantasmatiques de la réalité (Marshall Mac Luhan "sorti du chapeau" dans la scène précitée au cinéma), de la mémoire (scènes d'enfance, repas familiaux), le téléscopage des temporalités (ses camarades d'école, qui disent, en classe, ce qu'ils "sont devenus").
Tout est possible, et il joue avec quantité de techniques pour nous entraîner dans les différentes strates de son imaginaire, avec sa distance humoristique (split-screen et dialogue entre les deux familles d'un écran à l'autre, dialogues de leur premier flirt avec inscription à l'écran du sous-texte de leurs pensées…). On retrouvera ce jeu fasciné dans "The purple rose of Cairo", huit ans plus tard.
C'est le film d'un fou de cinéma : cinéphile (ils vont voir des films de Bergman, Ophuls…), mais aussi génie débordant de créativité (scènes burlesques comme celle où il démarre sa voiture et part en marche arrière). Les scènes de l'enfance au début donnent une clé de compréhension fondamentale : Alvin/Woody y est présenté comme un enfant qui aime s'immerger dans son univers imaginaire. La jubilation vient de ce que Woody se sent bien dans sa vie rêvée, et nous la fait partager.
Avec ce film, Woody s'impose. Alvin est constamment à imposer sa personne, mais avec une incroyable énergie vitale, un talent indéniable et un humour… juif. Film autobiographique, mais Alvin est quand même un personnage, et en tant que tel, la première victime de ses stratagèmes, dans la mesure où Woody fait réellement exister les autres personnages, qui peuvent se moquer un peu des névroses obsessionnelles de son double (Alvin n'est pas omnipotent, omniscient).
Woody a un côté un peu agressif, un peu macho, qui va bien avec son côté "adolescent attardé" ; il a un constant besoin de s'affirmer et pour cela, Annie Hall lui convient : avec elle, il peut frimer en s'attaquant à une araignée dans la salle de bain.
Le registre principal est celui de la comédie, mais sous-jacents, la vision existentielle pessimiste, l'angoisse de la finitude, la nostalgie d'amours passés, donnent de la profondeur à ce film que j'adore.
Une séquence-clé du film : quand Annie lui demande sur l'oreiller de passer un moment ensemble, il lui propose directement, et sans aucun scrupule, une virée à trois, avec son meilleur pote, dans le quartier de son enfance. Il va lui montrer ce qui prime pour lui : le cinéma (les souvenirs de son enfance qu'il fait vivre "en direct" à Annie Hall), avec les gens de son équipe (Rob) qui l'acceptent tel qu'il est, narcissique et génial. Cette lecture est confirmée dans la scène suivante dans le cabaret, où Diane Keaton semble ne chanter que pour lui, avec mélancolie, la vérité amère de son être.
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