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jeudi 10 février 2011

"Lost Highway" de David Lynch (1997) avec Bill Pullman, Patricia Arquette, Balthazar Getty, Robert Blake et Robert Loggia

Le hasard fait que je revois ce film juste après "Spellbound" de Hitchcock. Ici aussi, on a un personnage principal "amnésique" d'un meurtre, des délires visuels comme ce plan de couloirs et de portes ouvertes, et bien sûr le "spell", le sortilège (cf la reprise de "I put a spell on you" par Marilyn Manson, dont on aperçoit la silhouette dégénérée dans une scène d'orgie), l'envoûtement du héros atteint psychiquement (schizophrénie).

Je ne crois pas avoir compris le sens du film pour Lynch.
J'y ai vécu les effets maléfiques de l'image, en particulier pornographique. Mais je n'ai pas vraiment saisi les liens entre les personnages principaux.
Un de mes génériques préférés, sur le morceau péchu et sensuel de Bowie, "I'm deranged" : une route la nuit qui défile en accéléré sous les phares d'une voiture, les titrages fusent du fond noir de la route, s'arrêtent un peu, et poursuivent leur trajectoire à fond sur le spectateur. La police utilisée rappelle le côté "film noir", qui marque surtout la deuxième partie, avec Peter Dayton (Balthazar Getty) et Alice Wakefield (Patricia Arquette), la sulfureuse tentatrice qui entraîne le jeune Peter dans ses plans machiavéliques.
Les décors de l'intérieur du premier couple (Fred/Renée) sont réduits au strict nécessaire diégétique. Dans la scène où Fred (Bill Pullman) appelle chez lui, la caméra frôle des murs nus, parcoure des chambres à la déco épurée, où les objets (téléphones en particulier) ont l'air aussi seuls et étranges que Fred et Renée (Patricia Arquette). 
Fred ne sourit jamais. "J'aime rire", dit paradoxalement Renée dans leur première échange intime. "C'est pour ça que je t'ai épousée", lui répond-il.

Lynch crée une menace constante et diffuse, avec ses fameuses nappes de basses qui vibrent, et il stylise énormément la façon de bouger et de parler des deux comédiens dans les scènes du début. (L'ai perdu et déprimé de Bill Pullman m'a rappelé Jack Nance dans "Eraserhead".  D'ailleurs, on retrouve ce drôle de comédien plus tard dans le film, dans un petit rôle de collègue garagiste de Peter. Balthazar Getty lui-même,  dans des scènes où il exprime une sorte de désarroi mou, semble être une sorte de morphing entre Bill Pullman et Jack Nance.)
Renée semble avoir peur de Fred, qui la surprend lorsqu'elle reçoit la première cassette vidéo.

Tout est imprégné de la singularité de Lynch. 
Par exemple, la scène de sexe entre Fred et Renée. Tension, sourde menace. Lui a l'air très loin, un peu monolithique, mais ils se regardent constamment dans les yeux. Ils sont filmés souvent en plongée, on aperçoit Renée derrière l'épaule et le cou de Fred.
Après "l'amour", il se détache d'elle, terrorisé par son hallucination. Et il raconte son rêve, superbement réalisé par Lynch.
Peu après, quand ils vont à nouveau visionner la nouvelle vidéo anonyme reçue, on retrouve les mêmes mouvements de caméra que dans la scène du rêve. 
Notamment ces panos verticaux "en cuiller", qui partent d'une plongée sur la scène et vont chercher par dessous "the dark side of things".

Les deux inspecteurs sont loin de la folie de Lynch/Fred/Peter. Ils ne vont pas au-delà des apparences (comme les psys de "Spellbound"). Ils n'ont aucune oreille ("I'm tone deaf", dit l'un), alors que Fred est saxophoniste et Peter que est la "meilleure oreille" pour régler les moteurs de belles voitures. Et l'on sait l'importance de l'oreille chez Lynch.
L'un des flics : "Do you own a video camera ?"
Renée : "No, Fred hates them".
Fred : "I like to remember things my own way"
Les flics leur conseillent de mettre leur alarme, leur passent leur carte de visite, et les laissent à leurs démons. "That's what we do", dit un flic à Renée qui le remercie.
Mais, dans ce film très cérébral et à la folie contrôlée, où je me perds parfois, heureusement qu'il y a les petites scènes avec les flics en filature dans la deuxième partie, pour m'indiquer qu'on est bien toujours dans le même espace-temps !

J'ai trouvé ratée la scène du coup de foudre de Peter, où Alice sort de la Chevrolet au ralenti sur "This magic moment".

Séquence de la soirée : j'ai beaucoup aimé le morceau de musique rythmée qui passe, la gueule émaciée et carnassière de Andy (Michael Massee) la première fois qu'on le voit, et la scène culte où Fred rencontre l'effrayant Mystery Man (Robert Blake, ci-contre) : 
"- We've met before, haven't we.
- I don't think so. Where was it you think we met ?
- At your house. Don't you remember ?
- No. No, I don't. Are you sure ?
- Of course. As a matter of fact, I'm there right now.
- What do you mean ? You're where right now ?
-At your house.
- That's fucking crazy, man.
- Call me. Dial your number. Go ahead."

Mr Eddy (Robert Loggia, ci-contre) a aussi sa scène "médusante" dans la seconde partie : quoi de plus angoissant comme coup de fil que sa simple insistance à s'assurer que "tout va bien" pour Peter.

Lynch est un maître pour créer ce genre de personnages terrorisants, tout dans la sobriété, le double langage et l'effet maximal.
Un effet "blast".
Le blast est le traumatisme créé par la suppression de l'air dans une explosion. Il peut entraîner une surdité passagère, ou des acouphènes.

Il utilise ce "blast" pour créer une angoisse avec simplement une ombre contre un mur (en forme d'"origine du monde").

Lorsque Fred est en prison, les flashs de ses atrocités qui le hantent, sont accompagnés de bruit de grosse pression, comme à travers un hublot percé dans un avion.

"Lost Highway" est le dernier film de Robert Blake et de Jack Nance.

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