J'adore les films de prisons.
Se cacher, guetter, écouter, utiliser la moindre possibilité offerte par un objet : le huis-clos carcéral est une situation en or pour la mise en scène de cinéma. Ou comment l'art naît de la contrainte.
"Le trou", dernier film de Jacques Becker, sorti l'année de sa mort, en est une superbe démonstration.
Une idée emblématique en témoigne : les prisonniers n'ont pas de montre, ils vont se fabriquer un sablier, en piquant du sable dans un bac à mégots dans un couloir. Le sable qui s'écoule : tellement plus cinématographique qu'une montre !
Chef d'œuvre qui n'a pas pris une ride.
Mise en scène minutieuse, dépouillée, très efficace et réaliste d'une histoire que l'on sent fortement inspirée d'un vécu (pas de pittoresque).
Importance des acteurs (Becker a préféré travailler avec des non-professionnels, excellent choix), très bons, sobres, bien dirigés.
Les personnages sont à l'image du film : pas d'esbroufe, ni de "littérature".
Du vrai cinéma.
Des côtés qui rappellent presque la sobriété et les partis-pris bressoniens d'"Un condamné à mort s'est échappé", sorti 4 ans plus tôt. Par exemple, la scène (ci-contre) où le maton contrôle les aliments reçus par les prisonniers : longs plans sur les gestes rapides et mécaniques des mains qui coupent, ouvrent, farfouillent…
La durée des plans sur
- la bande qui mange pour sceller l'intégration au groupe de Claude Gaspard (Marc Michel), le jeune qui vient de les rejoindre dans leur cellule (ci-contre).
- l'incroyable scène où ils attaquent le ciment avec une sorte de pièce en métal extraite du cadre d'un lit. Ils y vont à fond ! Et ils sont pris par le temps, ça renforce la tension dramatique.
- plus puissante encore : la séquence où Roland (Jean Keraudy) trace un rond à la craie sur une paroi en ciment des sous-sols et commence à taper comme un forcené avec son pied de biche de fortune pour creuser ce fameux TROU…
Utilisation ingénieuse du point de vue et de la mise en scène quand, dans les sous-sol, Roland monte sur les épaules de Manu (Philippe Leroy) pour se cacher derrière une colonne au centre d'une grande pièce vide. Ils contournent la colonne au fur et à mesure de l'avancée des deux gardes qui passent. C'est à l'image de toute l'ingéniosité de ces mecs dénués de presque tout : brut de fonderie et superbement efficace.
Élégance des fondus enchaînés rapides, du volet latéral (à la bordure pas nette : bien plus sobre).
Plans "tubulaires" quand Romand et Manu s'enfoncent dans les couloirs labyrinthiques des sous-sols, à la lueur de leur torche. George Lucas s'en est-il inspiré dans "THX 1138" ?
Travail sur la bande-son : pas de musique, mise en valeur de petits sons hors champ (le robinet qui fuit).
Superbe scène dans le parloir (ci-contre) entre Claude et sa fiancée. Scène-clé, plus romanesque que le reste, où l'aspect "récit initiatique" pour Claude est affirmé, et qui se termine si intelligemment par sa réaction : "Pas que rêver, Nicole, ça m'agace". Claude qui est lui-même dans ses rêves d'héroïsme, admirant ses compagnons de détention qui saisissent la réalité à pleine mains, n'arrivera pas à sortir de sa mesquinerie égoïste.
Comme les gens étaient plus civilisés à cette époque ! Ça, c'est "la France que j'aime" ! De vrais mecs. Sympathiques, solidaires : chacun est au service des autres, simplement.
Courageux, travaillant comme… des forçats.
Bruts. Pas d'arrière-pensées, de mesquineries. On est loin de la France dégénérée du Loft et autres Secret Story !
Merveilleusement ingénieux, habiles.
Hommage à l'esprit de la résistance plus qu'à celui de classe, comme en témoigne le contraste (qui finit en confrontation) entre les quatre détenus issus des classes populaires (contrairement au traître issu d'un milieu bourgeois) et les plombiers de la prison, qui "se la pètent" (coquets et couards). C'est peut-être l'apport idéalisé du roman de José Giovanni. On ne sait pratiquement rien sur les quatre taulards, à part qu'ils risquent tous des peines très lourdes, mais aucun d'eux ne se révèle jamais être un mauvais gars.
La dernière scène et la dernière réplique du film sont bouleversantes d'intensité et de vérité.
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