"Ils cherchent leur idiot intérieur", explique Stoffer (Jens Albinus) à Karen (Bodil Jorgensen), l'"idiote" paumée qui est entraînée par les idiots bidons. "Être idiot, c'est un luxe, mais aussi un progrès. L'idiot est l'homme du futur.
- Comment justifier le fait de faire semblant d'être idiot ?" demande Karen.
- On ne le peut pas".
Stoffer, le kapo de cette secte anti-bourgeoise est évidemment le relais du grand chef Lars Von Trier, qui est présent en plus en position "méta" d'interviewer off, recueillant les témoignages individuels des participants à cette
expérience, a posteriori. "Ce n'est pas une idée très polie", dit-il à un des gars, qui n'en disconvient pas.
expérience, a posteriori. "Ce n'est pas une idée très polie", dit-il à un des gars, qui n'en disconvient pas.
J'avais été très enthousiaste à la sortie du film il y a treize ans. Aujourd'hui, je le trouve à la limite du supportable.
Certes, les personnages prennent leur quête d'idiotie au sérieux, au point de la pratiquer presque constamment entre eux, ce qui rend leur expérience plus intéressante que la simple déconnade de potaches dégénérés.
Mais je ne vois pas pourquoi par exemple, pour ces touristes de l'anarchie, le voyage organisé en idiotie passerait par la partouze. N'est-ce pas juste une façon pour l'hyper contrôlant Trier, dans le cadre de son "Dogma 95", de tester son pouvoir sur sa troupe-secte ?
Ceci dit, après "La Collectionneuse" (cf post précédent), voici encore un film où des jeunes se retrouvent dans un lieu étranger à tous (ici la maison en banlieue de Copenhague appartient à l'oncle de Stoffer, le "chef", ci-contre) pour y vivre une expérience en rupture avec leur vie habituelle et "en marge" de la société. Ici aussi, comme dans le film de Rohmer, tous savent que l'expérience ne dure qu'un temps, que c'est une parenthèse. Ce dispositif m'intéresse.
Ici, on est plutôt dans le registre de la "performance filmée" : ça repose beaucoup sur ce que font les comédiens.
Lars von Trier joue sur l'ambiguité de la nature de son film, entre fiction et documentaire. Etrangement, il préfigure le phénomène des émissions de télé-réalité qui vont émerger à la même époque ("Big Brother", l'ancêtre du "Loft", est diffusé au Pays-Bas en 1999), et certaines scènes avec des groupes extérieurs (trisomiques, "Hell's Angels") semblent des expériences de friction fiction/réalité.
Les quelques notes (à l'accordéon ?) qui reviennent de temps en temps confèrent une tonalité mélancolique bienvenue pour contrebalancer le côté brut général. Elles m'ont évoqué les films de Truffaut, ne me demandez pas pourquoi (formule de style, étant donné l'affluence sur ce blog). Elles constituent au passage des entorses aux règles du manifeste duquel le film se réclame.
Comme dans "Melancholia", on retrouve un personnage en lien avec le milieu de la pub, le discours sur la "vache à lait" et une recherche de slogan. Tout cela semble être emblématique de la société critiquée par Lars von Trier, qui se réclame des grands maîtres du cinéma (Dreyer ou Tarkovski), mais qui a pourtant réalisé des pubs, et dont l'esthétique est parfois aussi propagandiste, léchée, pompière ou faussement "sur le vif" que celle des pubs.
De manière prévisible, tout cela finit en psychodrame.
Le cinéma de Lars von Trier mène inévitablement à la mélancholie. En essayant d'élaborer des microcosmes "contre" la société capitaliste, sans beaucoup croire à ses rares personnages touchants (dans ce film, c'est Karen, ci-contre), le réalisateur danois ne peut que créer des mondes sectaires, séparés et clos, étouffants, et aussi mortifères que ceux qu'ils semblent rejeter. D'où la prédominance du préfixe "dé" lorsque j'en viens à qualifier l'attitude de ces idiots qui répondent par la déchéance à la déchéance : débile, dégénérée, décadente…
Revisiter l'idiotie est un projet passionnant. Mais pour en arriver là ?… Je préfère Epicure à Debord, ou Dostoïevski aux punks…
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