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mardi 7 février 2012

"Metropolis" de Fritz Lang (1927), avec Gustav Fröhlich, Brigitte Helm, Alfred Abel, Rudolph Klein-Rogge

Je n'aime pas trop les films de Fritz Lang. Pourtant "Metropolis" fait partie de mes films-cultes.

Un film-somme, matrice de tant d'autres films.

On fait connaissance avec le héros, le jeune Freder (Gustav Fröhlich), alors qu'il folâtre dans une sorte de Center Park où "les héritiers" comme lui, les fils de la caste fermée des puissants, se livrent aux joies du libertinage avec quantité de donzelles, comme dans une Fête galante de Watteau. 

Un carton raconte :"Les pères avaient offert aux fils les miracles des Jardins éternels". 
Autant les fils de la haute sont oisifs, autant les travailleurs d'en-bas sont laborieux. 
On a vu ces derniers précédemment, dans une  scène d'introduction inoubliable (ci-contre), où ils s'engouffrent, en bataillons résignés, dans les sous-sols de la machine, Moloch auxquels ils sacrifient leur temps, leur sueur et parfois leur sang, pour faire vivre la ville haute.

Cette image d'un Eden artificiel, me ramène à mes réflexions actuelles sur le jardin.
Dans le livre de la Genèse, le jardin d’Eden est ce lieu merveilleux où, à la Création, Dieu avait placé Adam et Eve, et d’où ils furent chassés après le péché originel, la Chute. 
Mais aucun jardin sur terre n’est l’Eden, où tout est donné.
Jardiner exige des efforts, un travail, une volonté en action.
Jardiner rappelle que le bonheur humain est le fruit d’une culture, un épanouissement, et non un bien de consommation.
« Après quelques heures passées au jardin d’Eden, Dante entreprend l’ascension des sphères célestes avec Béatrice, laissant le jardin derrière lui. Pourquoi ? », demande Robert Harrisson.
« Parce que Dante ne se satisfait pas, même après sa conversion complète, de la paix éternelle du paradis terrestre. Il lui reste un désir, dans son cheminement de chrétien, qui reste inassouvi. Un désir d’extase, non de sérénité. De se transcender, non de se maîtriser ; de ciel, non d’Eden. Dante peint la béatitude non pas comme un état statique de réconciliation mais comme un processus dynamique enivrant de dépassement de soi (…) Dans le Paradis de Dante, tous les saints (et non pas seulement le pèlerin) exultent de joie dans de fiévreux transports (…) Au paradis, les saints sont propulsés au-delà d’eux-mêmes, dans l’attente d’autre chose sur le point de se produire mais encore hors de portée (…)
Si le paradis de l’Islam est un lieu de contentement, celui de Dante est celui d’incandescence du désir »
Non décidément, ce n’est pas le Jardin d’Eden qui nous attire.
Comme le dit Maurice Zundel, « la corruption c’est de refuser d’être homme, c’est de rester accroché à l’espèce, à la nature non conquise, à l’univers non transformé, c’est de se laisser porter, et c’est ça le péché originel : c’est de refuser d’être une origine, de vouloir être tout le temps dans les langes de la nature et de l’espèce au lieu de prendre tout cela en mains pour donner à tout l’univers en soi un nouveau départ, un nouveau commencement, une nouvelle origine, dans une nouvelle liberté (…)
Alors, si nous avons à lutter, tant mieux ! 
Nous saurons que cette lutte est pour quelque chose et qu’elle ne signifie pas 
en nous une sorte de culpabilité dont nous ayons à rougir, mais un appel, un appel à collaborer avec Dieu à la naissance de ce monde nouveau. »

C'est dans cette scène que le héros de "Metropolis" va trouver l'impulsion pour quitter son "monde ordinaire" et s'engager dans son voyage initiatique. 
Derrière lui, le jardin artificiel où son désir profond, métaphysique, n'est pas assouvi.
Devant lui, Maria (Brigitte Helm), épiphanie de pureté, entourée de ses petits orphelins, clairement en décalage avec le monde factice dans lequel elle apparaît.
Entre eux, passe quelque chose d'invisible, de cœur à cœur.

Le bras tendu de Maria, sa main tellement fine !…

Le maître de Métropolis, Joh Fredersen (le père du héros), a un air toujours sombre, sans joie. L'interprétation d'Alfred Abel est étonnante, beaucoup moins convenue que celle de Freder.

Nombreuses références explicite à la Bible, utilisée comme réservoir de formes mythologiques pour construire une dramaturgie autour d'une vision personnelle :
- l'Eden et la chute : "Père, sais-tu ce que cela signifie être licencié par toi ? Cela signifie la chute dans les profondeurs."
- la tour de Babel : "Bien que parlant la même langue, les hommes ne se comprenaient pas." 

- le nouvel Adam, le "Médiateur", comme crucifié aux aiguilles de la Machine : "Père ! Père ! Les dix heures ne prendront-elles jamais fin ?" ;
- les catacombes
- Maria, Marie,  et son double opposé, la Putain de Babylone.

Joh Fredersen et le savant hermétiste sont en concurrence par rapport à Maria : "Rotwang !", intime le maître, "Donne à la machine le visage de cette femme. Je veux détruire la foi qu'ils ont en elle."

Le double, la mimésis.



Les décors, l'architecture, la lumière, les objets, les lampes, le "visiophone"…

La salle où Rotwang cache le lieu de ses expériences, au fond d'une grande salle vide, derrière d'immenses rideaux…

La Mort (ci-contre) qui fauche, géante, dans la cathédrale vide.

Les chutes d'eau dans la ville.

Dans les catacombes (ci-dessous), extraordinaire usage de la lampe électrique comme instrument du "viol" de Maria par le mage, qui semble la pêcher dans ses rets et la draguer jusque dans l'antre de ses expériences maléfiques.
Suis intrigué par les liens entre l'eau et le feu, via l'électricité.

Montée sanctifiante par le petit escalier de service (parce que les ascenseurs sont HS, sans électricité).

Étonnant comme Rotwang lâche Maria comme un sac, lorsqu'il est en haut de la cathédrale.

Le peuple s'avance, à la fin, vers la cathédrale (qui élève) comme il le faisait au début vers les escaliers (qui entraînent vers le bas).

Dommage que la musique de cette version (l'orchestration originale) ne soit pas à la hauteur.
On comprend que le film ait pu inspirer d'autres accompagnements musicaux très différents.

Dommage aussi que dans la version que j'ai vue (qui n'est pas l'ultime : on a retrouvé en 2008 une copie en Argentine), la plupart des scènes où apparaît l'espion du père, à l'incroyable profil de squale (ci-contre) soient remplacées par des cartons.

Leçon : on n'invente pas une histoire, les histoires sont toujours les mêmes ; on invente un monde.

1 commentaire:

  1. regare "house by the river" et "fury" ils te plairont je pense.Trés beau site..bravo

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