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mardi 26 juin 2012

« Puzzle of a downfall child » de Jerry Schatzberg (1970) avec Faye Dunaway, Barry Primus, Roy Scheider

"Puzzle of a downfall child" est un work in progress : Aaron Reinhardt (Barry Primus), photographe de mode célèbre, réalise son premier film sur le destin d’une de ses amies, Lou Andreas Sand (Faye Dunaway), un modèle à la retraite déprimée.

Le film est une mise en abyme de la démarche de Schatzberg lui-même : pour se lancer dans l'aventure de ce premier film, le photographe new yorkais vient d'abandonner sa carrière dans la mode et a vendu son studio.
Reinhardt est le double de Schatzberg : même physiquement, ils se ressemblent.

Aaron recherche le naturel dans son travail, comme Schatzberg, dont la démarche esthétique était alors inédite dans la photographie.
On retrouve cette approche dans son film : l’éclairage naturaliste relève d'une tendance du cinéma européen des années soixante. Le directeur de la photo, Adam Holender, est d'ailleurs issu de la célèbre école de cinéma de Lodz en Pologne, où il avait collaboré avec Roman Polanski. Et juste avant "Puzzle…", Holender a réalisé la photo du non moins culte « Midnight cowboy » de John Schlesinger. 
«L’enfant déchue» dont Reinhardt/Schatzberg fait le portrait (pour reprendre l’expression utilisée dans le titre français), est directement inspirée d’un célèbre modèle des années soixante, Ann Saint Marie, que Schatzberg a connue. 
Elle est incarnée par Faye Dunaway, avec qui Schatzberg avait eu antérieurement une liaison pendant deux ans.
Faye Dunaway a ici 29 ans, elle est sublimissime. 
C’est Sharon Stone meets Kathleen Turner, en les transcendant.

Lou est égocentrée, enfermée en elle-même (vivotant sur une île), dépressive, perdue. A deux reprises, elle dit à Aaron avoir toujours rêvé de quitter le milieu de la mode pour se retrouver tranquille, face à la mer, avec la liberté de peindre, d'écrire etc… et de constater, désenchantée, qu'elle se morfond sur son île…
C’est qu’elle se retrouve sans modèle ni objet de désir, face à son vide métaphysique.
Enfant, elle était amoureuse d’un prêtre de son école ;  aujourd’hui, elle n'aspire qu’à vivre « in a state of grace with someone, sharing a state of grace »… 
Mais entre-temps, elle a été marquée par sa première relation avec un homme beaucoup plus âgé qu'elle et qui lui a fait vivre sa défloraison comme un viol (belle réalisation elliptique de Schatzberg) ; puis en montant à New York, elle a découvert le pouvoir de sa plastique, véritable écran vierge sur lequel le désir de l'autre pouvait projeter ses fantasmes (cf la scène avec son partenaire modèle ci-contre). 
Un objet que l'on prend. "If a person wants something, he just has to take it", dit-elle à Aaron. "Is it your philosophy ?", lui répond-il… 
Cet échange intervient alors qu'Aaron vient de demander à Lou si elle est attirée par lui… C'est typique de la position, en retrait, passive, d'Aaron…
Son visage n'est d'ailleurs jamais montré en gros-plan. Le sujet du film, c’est Lou. Aaron reste extérieur, il observe ; un peu comme un psy (cf photo ci-contre). Même s’ils sont supposés être amis et avoir été brièvement amants, Aaron appréhende Lou plutôt comme un objet ; 
un objet qu’on étudie, qu'on admire, qu'on met en valeur, mais pour lequel on ne vibre pas réellement, et à qui l'on ne se donne jamais vraiment avec chaleur (il ne rayonne pas, il prend, lui aussi). Aaron en est passablement agaçant. 
Mais il y a quelque chose de psychologiquement vraisemblable dans tout cela : ce n’est pas pour rien que Lou a une relation particulière avec le seul homme qui essaie de la connaître (et pas au sens biblique).


"Puzzle…" est le début d’une nouvelle voie artistique pour Schatzberg, et c'est un film ambitieux : narration en puzzle, réalisation en "kaléidoscope", pour un premier film, c'est osé. Mais autant je suis toujours charmé par Faye Dunaway, 
l'ambiance, et la photo du film, autant je n'ai pas vraiment été emporté par le récit (qui m'a fait penser, dans une moindre mesure, aux faiblesses de "Bad Timing" de Nicolas Roeg, cf  post du 20 mars 2012).
La construction d'un film en juxtapositions de moments intenses est une gageure (relevée avec brio par Kubrick par exemple). Ici, le rythme patine souvent.
Il y a néanmoins de belles réussites dans les effets de déconstruction (à la Godard), comme cette scène où le présent et le passé se mêlent, quand Lou se raconte à Aaron : on la voit, sur la plage, parlant (désynchronisée) au pêcheur chinois, et d'un zoom arrière, on revient sur elle dans la chambre, avec Aaron.

Enfin, Schatzberg réalise peut-être le plus beau gros-plan sur bouche féminine de l'histoire du cinéma. 
C'est pourtant un cliché rebattu, le gros-plan sur les lèvres pulpeuses maquillées…
Mais ce qui est frappant ici, c'est que cette bouche n'est pas anonyme : toute Faye Dunaway est dans sa bouche. 
Cette bouche est unique, comme un visage… 
comme les yeux de Faye Dunaway, qui ont également droit à un gros-plan dans la même séquence…
On voit que Schatzberg a aimé Faye Dunaway de près. Veinard !…


"Puzzle of a downfall child" a été très mal reçu aux Etats-Unis. Sa distribution par Universal a été minime. Les critiques et Hollywood ont rejeté ce photographe branchouille aux prétentions impardonnables. Schatzberg a poursuivi avec le cultissime "Panic à Needle Park" et obtiendra la Palme d'Or à Cannes avec son troisième film, "Scarecrow"…

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